Depuis l’entrée en vigueur de la loi CanG le 1ᵉʳ avril 2024, le cannabis n’est plus considéré comme un stupéfiant en Allemagne. Cette avancée majeure marque une étape importante pour la législation sur le cannabis dans le pays et dans l’UE.
Toutefois, cette loi reste incomplète. En effet, elle devait initialement s’accompagner d’un second pilier, visant à mettre en place un marché régulé du cannabis pour les adultes. L’idée derrière ce deuxième pilier était de permettre l’achat légal de cannabis dans les commerces, comme les pharmacies.
Cependant, la mise en œuvre de cette phase 2 prend plus de temps que prévu. Le contexte politique, notamment, ne joue pas en sa faveur, freinant l’avancée de cette réglementation attendue.
Rappel au sujet de la loi CanG
Pour mettre un peu de contexte, voici les principales mesures introduites par la fameuse loi CanG (Cannabisgesetz) :
👉 Possession et culture personnelles : Les adultes de plus de 18 ans peuvent désormais posséder jusqu’à 25 grammes de cannabis et cultiver jusqu’à trois plants par foyer.
👉 Cannabis Social Clubs : Des clubs, encadrés par des réglementations strictes, permettent aux membres de cultiver du cannabis pour leur consommation personnelle. Ce modèle s’inspire d’autres pays européens comme l’Espagne.
👉 Cannabis médical : La loi simplifie considérablement l’accès au cannabis médical (légal depuis 2017) en le retirant de la liste des stupéfiants. Les patients peuvent désormais obtenir plus facilement des prescriptions médicales. Par ailleurs, le cannabis médical est remboursé dans la majorité des cas.
👉 Consommation au volant : Une limite de THC dans le sang a été fixée pour les conducteurs, à l’instar des réglementations concernant l’alcool.
Cette première phase de la légalisation a donc permis des avancées importantes pour les consommateurs individuels et les patients. Mais qu’en est-il du second pilier qui promettait un marché commercial du cannabis ?
Le pilier 2 : mise en place d’un marché commercial régulé
Lors de la première présentation de la loi CanG en été 2023, il était prévu d’introduire un marché commercial du cannabis, mais cette initiative a rencontré l’opposition de la Commission européenne.
Pour éviter un blocage complet de la légalisation, les créateurs de la loi ont décidé de la scinder en deux piliers. Le premier, déjà en vigueur, concerne la dépénalisation de la consommation, de l’achat (dans des clubs) et de la culture de cannabis médical.
Le second pilier, en revanche, devait permettre le lancement de projets pilotes sur la vente de cannabis à usage adulte, afin d’étudier ses effets sur des aspects tels que le marché noir, la santé publique, et la protection des jeunes.
Ce modèle de projets pilotes s’inspire de l’expérience réussie de la Suisse, où des ventes limitées et surveillées de cannabis ont été autorisées pour étudier les répercussions avant une éventuelle légalisation complète. L’idée était de tester, dans plusieurs villes allemandes, la vente de cannabis dans des pharmacies, avec un encadrement strict. Cependant, ce second pilier se heurte à de nouveaux obstacles politiques et administratifs.
Pourquoi le pilier 2 est-il bloqué ?
La mise en place du pilier 2 a connu un revirement de situation. À l’origine, il devait être introduit via une nouvelle loi indépendante de la loi CanG. Mais finalement, il a été décidé qu’il serait régulé par cette même loi, ce qui signifiait que le cadre juridique existant était déjà en place pour faciliter son adoption.
Cela représentait une victoire presque assurée, d’autant plus que l’approbation des projets pilotes ne dépendait plus de l’Institut fédéral des médicaments (connu pour bloquer systématiquement les projets pilotes), mais du Ministère fédéral de l’alimentation et de l’agriculture (BMEL). Ce changement laissait présager un processus plus fluide.
Cependant, les choses se sont révélées plus complexes.
En effet, le ministre de la Santé, Karl Lauterbach, a déclaré que « le travail du gouvernement fédéral sur la préparation du deuxième pilier implique des questions techniques et juridiques complexes et nécessite une coordination entre les ministères concernés ». Cette coordination n’est toujours pas finalisée, ralentissant ainsi le processus.
En outre, le ministre souhaite soumettre le projet de loi à l’approbation de la Commission européenne, un processus long et incertain. À cela s’ajoute la montée des partis conservateurs, notamment l’Union chrétienne-démocrate (CDU) dirigée par Friedrich Merz, qui a promis d’annuler la légalisation du cannabis si son parti remporte les prochaines élections fédérales. Le temps presse donc pour la finalisation de ce projet…
La participation des villes allemandes malgré les blocages
Malgré ces obstacles bureaucratiques et politiques, un nombre croissant de villes allemandes expriment leur désir de participer à un projet modèle national sur la vente de cannabis en pharmacie. Des villes comme Brême, Hanovre, Bonn, Francfort, Munich, Tübingen, Leipzig, Schwerin, Offenbach, Darmstadt et Wiesbaden ont déjà manifesté leur intérêt.
La ville de Wiesbaden a notamment annoncé son intention de participer à un projet pilote visant à tester la vente de cannabis en pharmacie. La ministre de la Santé de Wiesbaden, Milena Löbcke, a signé une déclaration d’intention pour soutenir cette initiative, soulignant l’importance de créer un système de vente légal pour lutter contre le marché noir et renforcer la protection des jeunes et de la santé publique.
Ce projet sera encadré scientifiquement par le Centre de recherche interdisciplinaire sur les addictions de Hambourg et impliquera une collaboration avec l’association Cannabis Research Germany. La ville a même créé un Bureau de coordination du cannabis et suscite déjà l’intérêt de plusieurs grandes pharmacies.
Cependant, certaines villes comme Nuremberg, Fribourg, Aix-la-Chapelle, Essen et Eisenach ont clairement exprimé qu’elles ne souhaitaient pas participer à ces projets pilotes. La proposition de recherche devrait être soumise au ministère fédéral de l’alimentation et de l’agriculture (BLE) en octobre, mais l’incertitude persiste quant à son aboutissement…
En bref...
Bien que la loi CanG ait marqué une avancée importante pour la dépénalisation du cannabis en Allemagne, la mise en œuvre de son deuxième pilier, qui prévoit un marché régulé, demeure incertaine.
Les blocages politiques et administratifs compliquent la situation, tandis que les villes favorables à ces projets pilotes tentent de faire avancer la législation. L’avenir de la légalisation du cannabis en Allemagne reste donc suspendu à des négociations, avec un œil sur les élections à venir.